Passage du Pape Pie VII dans la
Nièvre en 1812
Arrêt et collation
de Pie VII à Barbeloup
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Extraits du livre : " Les Passages du Pape Pie VII
dans la Nièvre. 1804-1812 "
Par L’Abbé J-M. Meunier. De la société de
Linguistique de Paris
Ancien élève de L’école pratique des Hautes Etudes
Licencié ès lettres
Professeur à l’Institution Saint-Cyr de Nevers
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Barbeloup est un petit village de Tronsanges. Il est
situé
à 5 kilomètres de Pougues-les-Eaux et à 8 de La
Charité-sur-Loire. La distance de Nevers à ce hameau est
d’environ 16kilomètres, et il n’a pas fallu moins d’une heure et
demie pour la franchir, à cause de la montagne de Pougues qui
est escarpée et longue de près de 3 000 mètres.
Il était donc trois heures du soir environ, lorsque se passa la
scène que je tiens de mon grand-père, un des acteurs de
ce drame, que je vais essayer de raconter. Je demande au lecteur la
permission de reproduire le plus fidèlement possible, et avec sa
saveur de terroir, ce touchant récit, tel qu’il m’a
été conté bien des fois par mes grands-parents.
Le vendredi 19 juin, dans la matinée, il était
arrivé à Barbeloup, conduits par plusieurs postillons,
une dizaine de chevaux qu’on avait logés avec peine dans les
écuries trop étroites de ce demi-relais.
Le mystère le plus profond régnait sur cette
arrivée soudaine et inaccoutumée d’un tel renfort de
chevaux.
Or, ce jour-là, mon grand-père Jean Meunier, alors
âgé de douze ans, était employé comme
ouvrier maréchal dans l’atelier de forgeron du père
Colin, situé près de la route nationale de Lyon à
Paris, lorsqu’il entendit le roulement bruyant de plusieurs voitures et
les pas précipités de chevaux qui s’avançaient
rapidement. Poussé par la curiosité, il sort
aussitôt et aperçoit une grande berline attelée de
six chevaux de poste et deux autres voitures qui suivaient à
quelque distance. Les trois attelages
s’arrêtèrent en face de l’unique habitation qui se
trouvait alors à cet endroit. C’était la maison de mon
arrière-grand-mère. Cette ancienne habitation a
été respectée. Elle existe encore aujourd’hui,
extérieurement du moins, dans le même état. Un des
chevaux de poste avait besoin d’être ferré et on profita
de cette circonstance fortuite pour laisser reposer le
Saint-Père qui n’était pas sorti de sa voiture depuis le
Mont Cenis.
Un valet, qui était assis sur le siège à
côté du postillon, descend de la première voiture,
se dirige vers mon grand-père et lui demande une tasse de lait
et deux oeufs. En même temps, un monsieur décoré de
la Légion d’honneur sort du dernier carrosse. Deux autres
personnages l’accompagnent, qui paraissent être des officiers de
gendarmerie. Ils viennent ouvrir les portes fermées à
clé de la première voiture. Il en descendit d’abord un
monsieur, puis un ecclésiastique autour duquel chacun
s’empresse. Il était d’une pâleur et d’une maigreur
extrêmes, et paraissait fort âgé et
très fatigué. Un autre ecclésiastique moins vieux
et plus valide sort du second carrosse.
La chaleur était excessive et il n’y avait point d’ombre sur la
route, car les arbres magnifiques qui la bordent aujourd’hui ont
été plantés bien longtemps après 1812. Il
est vrai que, depuis Louis XV, des arbres avaient été
plantés sur le bord des grandes routes, mais ils avaient disparu
en 1812, du moins sur cette partie de la route nationale de Lyon
à Paris, et n’avaient point encore été
remplacés. Toutefois, près du chemin se trouvait un
superbe cerisier très gros et chargé de fruits
déjà
mûrs. Cet arbre touffu projetait sur la chaussée de gauche
de la route une ombre bienfaisante. En quelques minutes des
sièges sont improvisés sur le gazon, et c’est là
qu’allèrent s’asseoir les deux ecclésiastiques autour
desquels s’empressaient les autres voyageurs.
Pendant ce temps, mon grand-père était allé
prévenir Mme Colin qui devait être sa bellemère
dix-huit mois plus tard et demander les oeufs et le lait. Mais
déjà la femme du maréchal, connue dans le pays
sous le nom de Charlette Boisson, au bruit des voitures et des
chevaux,était sortie sur le seuil de sa maison, voisine de
l’atelier de son mari. En voyant tous ces personnages et surtout les
trois officiers de gendarmerie, elle fut tellement effrayée
qu’elle s’enfuit derrière sa demeure pour aller trouver une
voisine qui habitait à deux ou trois cents mètres.
C’était Mme Daguin, son amie. Tout
essoufflée, elle la pria de venir aussitôt avec elle.
« Des gendarmes, dit-elle, se sont arrêtés devant ma
porte. Ils accompagnent deux ecclésiastiques. On me demande du
lait et des oeufs. Je vois que ces voyageurs sont de grands personnages
et je ne sais comment m’y prendre pour les servir. Vous êtes plus
au courant des convenances que moi. Venez vite m’aider dans ce service
». Charlette Boisson, enhardie un peu par la présence de
son amie, retourne avec elle dans sa maison pour préparer ce que
le valet avait demandé. Tout ceci se passa en mois de dix
minutes.
Cependant, les voyageurs s’étaient assis sur le bord de la
route, à l’ombre hospitalière du cerisier chargé
de ses fruits mûrs. Une chaleur tropicale régnait partout.
C’était une des ces étouffantes journées de juin.
Les postillons avaient dételé leurs chevaux, haletants et
couverts de sueur, pour les remplacer par les recrues fraîches
arrivées le matin même. D’après les ordres de
l’Empereur, on devait traverser La Charité et toutes les villes
sans s’arrêter, même pour relayer. Les officiers de
gendarmerie, formant l’escorte de Pie VII allèrent s’attabler
dans la maison voisine, qui servait à la fois d’auberge et de
relais de poste, où ils se rafraîchirent copieusement. Ils
n’avaient pas à redouter, en faveur de leur illustre prisonnier,
une manifestation bruyante ou un soulèvement populaire, dans un
hameau qui ne comptait alors que trois maisons.
Les deux ecclésiastiques, assis sous le cerisier,
s’épongeaient en s’entretenant à voix basse. Quoiqu’ils
fussent très fatigués, on sentait qu’ils étaient
heureux de se voir et de parler. On eût dit deux amis,
séparés depuis bien
des années et étonnés de se retrouver. Ces
personnages paraissaient avoir déjà fourni une longue
route, et être restés longtemps enfermés dans leur
voiture. Ils respiraient à pleins poumons l’air pur de cette
campagne solitaire et prenaient plaisir à jouir de la nature,
comme s’ils en avaient été privés depuis plusieurs
jours. Ils admiraient sans se lasser le panorama magnifique qui
s’offrait à leurs regards émerveillés.
Le spectacle était en effet ravissant pour des voyageurs qui
n’étaient pas descendus de voiture pendant quatre jours et
quatre nuits. La route nationale de Lyon à Paris passe à
cet endroit dans un pays pittoresque et accidenté. A gauche,
s’étendent de verdoyantes prairies, que traverse aujourd’hui la
voie ferrée de Paris à Lyon, par le Bourbonnais, plus
loin, des coteaux plantés d’arbres fruitiers de toutes sortes.
La
Loire promène ses eaux de ce côté, à
quelques kilomètres, mais les bocages du vallon et les accidents
de terrain empêchent de voir le ruban argenté de son cours
se dérouler à travers la plaine. A droite, se trouve une
vallée couverte de blés et de seigles encore verts, dont
les épis déjà formés se balancent mollement
sous la chaude haleine du vent du midi. Au-delà, se dessinent
les montagnes de Mimont et des Coques, couronnées de
forêts dont la sombre verdure se détache au loin dans
l’azur des cieux. Les flancs escarpés de ces fertiles collines
sont plantés de vignes vigoureuses qui enveloppent
déjà de leurs ceps couverts de feuilles leurs
échalas tutélaires. Derrière les voyageurs se
dresse la montagne de Pougues, qu’ils viennent de franchir ; à
mi-côte, quelques villages disséminés dans des
bosquets touffus, puis, des maisons isolées qui décorent
l’horizon de leurs blanches silhouettes.
Pendant que les ecclésiastiques fatigués admiraient ce
charmant paysage, encadré de coteaux fleuris, et qu’ils
respiraient à pleins poumons l’air embaumé de cette
pittoresque campagne, deux valets avaient sorti, d’une caisse qui se
trouvait dans la première voiture, une belle vaisselle
dorée. On improvise une table, et les domestiques, vigilants et
respectueux, s’empressent de servir un des ecclésiastiques, le
plus âgé, qui paraissait être un grand personnage.
Quand le vieillard eut terminé son frugal repas, il fit
approcher l’enfant, qui était mon grand-père, et lui dit
en français : « Quel
âge avez-vous?». – « Douze ans, répond
l’enfant ». – « Tiens, reprit le vieillard,
voilà en souvenir du passage du Pape ». Et mon grand
père reçut 0 fr. 60, autant de sous qu’il avait
d’années.
En entendant ces mots, le père Colin, sa femme, mon
grand-père et Mme Daguin, se précipitent aux pieds du
Souverain Pontife et lui demandent en pleurant sa
bénédiction. Le Saint-Père les bénit tous
avec une grande effusion puis tendant la main vers mon
arrière grand mère il lui remit 14 fr. en lui disant ;
« Ce que vous
avez fait au vicaire de Jésus-Christ, Dieu vous le rendra
».
L’émotion de ces braves campagnards fut si grande qu’ils eurent
peine à en croire leurs yeux. C’était Pie VII, ce
même Pontife dont ils avaient entendu vaguement raconter la
réception pompeuse à Paris, lors du couronnement de
l’Empereur Napoléon, en 1804.
D’ailleurs, il y a huit ans, le 23 novembre, vers trois heures du soir,
ils se rappelaient avoir vu défiler le brillant cortège
qui accompagnait le Saint-Père. Des cavaliers, sabre au poing,
des équipages magnifiques, des berlines dorées et
d’autres voitures de toutes sortes précédaient et
suivaient Pie VII dans sa marche triomphale. Aujourd’hui, ce
même Pontife voyage presque seul, souffrant et manquant de tout.
Il est revêtu d’une soutane noire comme un simple prêtre,
au lieu de la soutane blanche que portent les papes, et des gendarmes
impitoyables le suivent de près. Quel changement ! Les habitants
de Barbeloup ne
comprenaient rein à la scène dont ils venaient
d’être les témoins.
Il leur semblait qu’ils avaient été le jouet
d’un rêve. Mais qui eût pu reconnaître, sous ce
déguisement forcé, le chef de la Sainte Eglise.
Le
lecteur comparera, pour s’en convaincre, les deux similigravures de
Pie VII : l’une représente ce Pape aux premières
années de son règne, quelque temps avant le voyage de
1804. Sa figure encore jeune, vive et douce, exprime à la fois
la candeur et la ténacité. Un regard fin et
pénétrant anime ce visage rempli de
grâce où respire une tendre piété.
L’autre nous montre ce même Pontife, quelques années
après 1812. Ses yeux grands et caves, ses rides profondes, ses
joues creuses, sa face amaigrie, tout dans cette physionomie indique la
souffrance et les privations. La captivité de Pie VII à
Savone et à Fontainebleau a tellement altéré les
traits de son auguste visage, qu’il est difficile de le
reconnaître. Non seulement on voit qu’il a vieilli, amis encore
on sent qu’il a lutté beaucoup et souffert longtemps.
Déjà les postillons étaient remontés sur
leur siège. Grâce à la relation du chirurgien
Claraz nous connaissons maintenant le nom de presque tous les acteurs
de ce drame qui se déroula sous le cerisier de Barbeloup.
L’ecclésiastique qui accompagnait Pie VII était Mgr
Bertazzoli, l’officier de gendarmerie décoré
n’était autre que le colonel Lagorse et les deux autres
officiers se nommaient Allouen et Garbet. Les deux messieurs qui
s’empressaient autour du Saint-Père étaient l’un son
médecin, le docteur Porta, l’autre le chirurgien Claraz, de
Lans-le-Bourg. Le valet qui avait demandé à mon
grand-père la tasse de lait et les oeufs s’appelait Hilaire,
valet de chambre de Pie VII ; l’autre valet était Vincent
Cotogni.
Après un arrêt d’environ trois
quarts d’heure, le Pape
remonte dans sa voiture aidé par le chirurgien Claraz qui
s’assied à ses cotés. Le valet de chambre Hilaire se
place sur le siège près du postillon, puis le colonel
Lagorse ferme à
clé la portière. Dans l’autre voiture prennent place Mgr
Bertazzoli et un personnage dont nous ignorons le nom. Enfin
la troisième berline reçoit les trois officiers de
gendarmerie.
Aussitôt les postillons fouettent les chevaux et les trois
voitures disparaissent au milieu d’un nuage de poussière. Il
était environ trois heures et demie du soir.
Les témoins de cette scène de courir au bourg de
Tronsanges, situé à 5 ou 600 mètres, pour raconter
ce qui s’était passé. On eut
d’abord de la peine à les croire, mais à la nuit
tombante, tous les habitants avaient appris ce fait inouï dans les
annales de Tronsanges ; un Pape qui s’ était reposé et
restauré sur le
bord de la route, à l’ombre du cerisier que chacun connaissait.
De Tronsanges à
Fontainebleau
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L’auguste
prisonnier était conduit du coté de La
Charité-sur-Loire. Quatre heures du soir venaient à peine
de sonner, quand le douloureux cortège pénétra
dans la ville. Là encore, personne ne s’aperçut du
passage du Souverain Pontife. On traversa rapidement la rue des
Hôtelleries. Les postillons fouettèrent les chevaux pour
monter au galop la Grand’Rue et ne pas laisser reconnaître ce
Pape captif qu’on avait acclamé et reçu avec tant
d’enthousiasme huit ans auparavant. Les équipages
arrivèrent
bientôt à Pouilly-sur-Loire qu’ils
traversèrent aussi au trot. Les chevaux furent probablement
relayés quelques kilomètres avant d’entrer à
Cosne. Ainsi, le 19 juin, vers sept heures du soir, on parcourut au
galop et sans arrêt cette ville qui avait donné une
hospitalité si cordiale à Pie VII, le 23 novembre 1804.
En passant pour la seconde fois à travers ces rues de Cosne,
quelles pensées se pressaient dans l’esprit du Souverain Pontife
! L’arrêt de Barbeloup l’avait un peu reposé et le frugal
repas qu’il y avait fait réparé ses forces
épuisées. Maintenant il se sentait mieux, maintenant il
pouvait évoquer les souvenirs de son premier voyage.
Plus d’appareil triomphal, aucune pompe solennelle
pour fêter Pie
VII, comme à son premier passage. Le Saint-Père voyage
seul et traverse des rues désertes. Il se souvient alors que
c’est de cette ville de Cosne qu’il a envoyé, en 1804, une
lettre pleine de tendresse pour cet Empereur qu’il lui tardait de
connaître et qu’il
allait sacrer. Aujourd’hui, il craint de paraître devant le
terrible conquérant et ne sait s’il est conduit
à la mort. Depuis près de trois ans qu’il était
retenu à Savone, loin de Napoléon, et pourtant si
durement traité, il redoute, maintenant, de s’approcher de cet
heureux guerrier, devant lequel tremblait presque toute l’Europe
subjuguée.
Tout entier à ces pensées amères, Pie VII passe
devant cette église Saint-Jacques, où il a prié
avec tant de ferveur, il y a huit ans, puis, devant cet hôtel,
où il a reposé si tranquillement la nuit du 23 novembre.
Il se rappelle avec émotion que pour ne point troubler son
sommeil, on avait eu la délicate précaution de faire
passer, par des rues détournées, les voitures venant de
Paris et de Lyon. Mais cette nuit, quel repos goûtera-t-il, dans
cette lourde berline attelée de six chevaux, qui courent la
poste sans arrêt, et dans laquelle il est enfermé depuis
quatre jours et quatre nuits sans avoir pu descendre !
Cependant, les équipages avancent rapidement. Toute la nuit on
fit diligence, et le matin du 20 juin, de très bonne heure, on
traversa Montargis. Là, le chirurgien Claraz descendit de la
voiture du Pape, et le docteur Porta prit sa place, afin de donner
à l’auguste malade les soins que réclamait le triste
état de sa santé.
Nous laissons, de nouveau, la parole au chirurgien Claraz, en
transcrivant la fin de sa relation :
« Il n’y eut rien de remarquable jusqu’à
l’arrivée du Saint-Père à destination ; mais
à Fontainebleau, lorsque le cortège du Saint-Père
se présenta aux portes du château, le concierge ne voulut
point les ouvrir, malgré les ordres du capitaine. Il fallut
aller descendre au palais du Sénat, maison très propre et
assez commode. Les voitures entrèrent dans la cour, dont on
ferma les portes : on descendit le Saint-Père de la voiture ; le
capitaine Lagorse avec un officier de gendarmerie le portèrent
dans sa chambre, et il expédia un courrier à Paris, qui
fut de retour à neuf heures du soir ; et, à son
arrivée, le Saint-Père fut transféré au
château.
"Telle est la relation que je puis vous donner, monsieur, de ce voyage,
qui s’est fait en quatre jours et demi, du mont Cenis, où il ne
s’est dressé aucun procès-verbal, jusqu’à
Fontainebleau, où nous arrivâmes le vendredi 19 juin, sur
environ midi ".
Ici, le docteur Claraz, a dû commettre une erreur d’un jour.
C’est le samedi 20 juin, à midi, que Pie VII arriva à
Fontainebleau. Cette dernière date est d’ailleurs donnée
par Artaud, Vie du Pape Pie VII, tome II, page 296, et le cardinal
Pacca dans ses Mémoires.
L’erreur du chirurgien de Lans-le-Bourg est
facile à expliquer.
De plus, nous verrons qu’il est impossible que Pie VII soit
arrivé à Fontainebleau le 19, d’après d’autres
passages de la relation de Claraz lui-même.
D’abord, on comprend que ce docteur, qui accompagna cependant le
Souverain Pontife, ait pu se tromper d’un jour pour l’arrivée du
Pape à Fontainebleau. En effet, il a écrit sa relation
plus de deux ans après avoir fait ce voyage ; ses souvenirs
pouvaient n’être plus très précis. Ensuite, pour
corriger cette erreur de date, il suffit de lire attentivement la
relation de ce docteur. D’après lui et tous les historiens, Sa
Sainteté partit du mont Cenis le lundi soir 15 juin, à
dix heures ; Elle passa le mardi, dans la nuit, à
Chambéry ; le mercredi, aussi dans la nuit, à Lyon. On
fit, pendant ces deux premiers jours, une moyenne de 110 à 120
kilomètres par jour. Il n’est donc pas vraisemblable que le
Souverain Pontife ait pu franchir le jeudi et le vendredi matin,
c’est-à-dire dans l’espace d’un jour et demi seulement, une
distance deux fois plus grande que celle parcourue les deux premiers
jours. Le mont Cenis n’est qu’à 220 kilomètres de Lyon,
tandis que cette dernière ville est éloignée de
plus du double de Fontainebleau.
Enfin, le docteur Claraz dit lui-même que la distance du mont
Cenis à Fontainebleau fut franchie en quatre jours et demi. Si
Pie VII était arrivé le vendredi 19 juin à midi,
il n’aurait mis que trois jours et demi pour faire ce voyage.
Il faut donc admettre nécessairement que le Pape arriva à
Fontainebleau un jour plus tard que le chirurgien Claraz le dit dans sa
relation, c’est-à-dire le samedi 20 juin, a midi.
Ainsi, nous avons pu, grâce à la relation du chirurgien
Claraz, de Lans-le-Bourg, suivre pas à pas le Souverain Pontife
dans ce voyage à la fois
si précipité et si mystérieux. L’arrêt
de Pie VII à Tronsanges, sans éclairer d’une
lumière nouvelle cette période si tourmentée
del’histoire de l’Eglise, apporte cependant à la lutte
mémorable entre l’Empereur et le Pape quelques détails
peu connus jusqu’alors.
Telles sont, racontées par des témoins oculaires, les
circonstances de ce voyage de Pie VII, dont l’arrivée à
Fontainebleau surprit fort tous les contemporains. Les serviteurs les
plus dévoués de l’Empire n’avaient rien su
à l’avance. Seuls, le ministre des cultes et celui de la police
avaient été mis dans le secret. M. le comte
d’Haussonville rapporte avoir entendu raconter à M. Pasquier,
préfet de police, qu’étant allé un matin chez son
supérieur hiérarchique, le duc de Rovigo, il le trouva en
proie à une agitation si visible, qu’il ne put s’empêcher
de lui demander quelle en était la cause
: « Ah ! le Pape, à l’heure qu’il est, se meurt
peut-être dans l’hospice du mont Cenis ! – Quoi ! Le Pape ?
reprit le préfet de police ; mais comment se trouve-t-il
là ?» Alors, M. de Rovigo raconta ce qui était
arrivé, et comment il avait reçu un courrier
expédié par le
commandant Lagorse : « Et dire, s’écria le duc de Rovigo
dans sa colère, que c’est le prince Borghèse, un prince
romain, qui ne consent pas à accorder au Pape un jour de repos !
Il sera cause de sa mort sur cette montagne, et l’on m’en accusera, et
l’on dira que c’est moi qui l’ai
tué ! Quel effet dans l’Europe entière !
L’Empereur ne me le pardonnera jamais ! ».
Pie VII supporta ce douloureux voyage sans se
plaindre ; il arrive
à Fontainebleau dans un état de santé qui fit
craindre pour ses jours, et il dût garder le lit pendant
plusieurs semaines. Enfin le Saint-Père se rétablit et
put reprendre les vêtements de sa dignité.
Napoléon, en rapprochant ainsi le Pape de Paris, avait
l’intention de le faire environner de personnes à ses gages qui,
à force d’instances et
d’insinuations, l’engageraient à consentir à tout ce que
l’Empereur voudrait exiger On sait que les cardinaux restés
à Paris venaient à Fontainebleau et pressaient le Pape de
céder sur tout ce que demanderait Napoléon. Ces cardinaux
représentaient à Pie VII l’état déplorable
de l’Eglise universelle et l’état
non moins malheureux de l’Eglise particulière de Rome
privée presque entièrement de tout son clergé.
Enfin on sait aussi que le Concordat de Fontainebleau, signé le
25 janvier 1813, reste comme une preuve de l’abus de la violence
exercée contre un Pape captif.
A peine le Souverain Pontife eut-il signé qu’il fut de remords
et, deux mois après, le 24 mars, il fit porter à
l’Empereur, par le colonel Lagorse, sa rétractation et la
révocation du Concordat de Fontainebleau.
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