Texte
intégral. Depuis
bien des années, l'ours des Pyrénées
fait couler beaucoup d'encre; les
projets de réintroduction des ursidés
dans nos montagnes suscitent inquiétudes
et réactions parmi les populations qui y
vivent et y travaillent, surtout chez
les éleveurs. Les
adeptes de sa réintroduction, sans aucun
doute, nostalgiques de l'émission "
bonne nuit les petits", rêvent de
rencontrer sur les sentiers de
randonnée, de gentilles bêtes douces et
câlines. Ont-ils un instant inventorié
tous les aléas que peut occasionner la
présence de de l'ours dans les secteurs
d'élevage ? Ont-ils
imaginés les inquiétudes, les craintes,
les frayeurs, réservées aux amoureux de
la montagne qui s'aventurent
actuellement partout en toute quiétude ? Cannelle,
la dernière femelle de race pyrénéenne
fut abattue, par un chasseur en légitime
défense. Voilà
brièvement dépeint l'état d'esprit,
l'ambiance que nous constatons parmi nos
contemporains. Quel
contraste avec l'histoire que je viens
vous conter : aventure vécue par nos
aïeux. En
octobre 1788, un chasseur nommé Philippe
ROUZAUD, dit " Marteillat "; habitant de
Frémis, commune de Montferrier, se porta
volontaire pour éliminer un gros ours,
très vorace qui décimait les troupeaux
de moutons sur le massif du Tabe. Notre
courageux montagnard, partit donc de
très bonne heure, armé d'un fusil à
pierre, un seul coup, très long à
recharger et d'un coutelas à utiliser
dans les situations critiques. Arrivé à
l'orée du bois, au lever du jour, non
loin du pic Saint Barthélémy, aux
dernières sources de Pibert, il déjeuna.
Quand il fut restauré, il entreprit
l'approche par une gorge étroite,
couloir entre deux rochers. Soudain le
chien qui habituellement marchait
devant, vint se réfugier contre les
jambes de Philippe, terrorisé. L'heure
décisive de l'affrontement avait sonné,
Philippe épaula, tira, blessant à
l'épaule la bête furieuse, se dressa sur
ces pattes arrières, prête à bondir.
Notre brave voulut se saisir de son
couteau avec lequel il avait l'habitude
de de finir les animaux en les piquant
droit au cœur. Hélas, comble de malheur,
il avait oublié son poignard à la source
où il avait déjeuné. S'engagea
alors un combat à l'issue incertaine.
L'ours s'avança, menaçant, la gueule
ouverte. L'homme saisit un linge qui
avait contenu son déjeuné et en
enveloppa sa main pour la protéger. Ce fut un
sanglant et périlleux corps à corps
jusqu'à ce que le vaillant chasseur
enfonça sa main dans la gueule du
monstre, saisit sa langue au fond de la
gorge, tira si fort que l'animal
succomba étouffé. Épuisé,
mais la vie sauve, le vainqueur s'en
tira avec de nombreuses blessures, des
fractures au bras et à la jambe, une
main broyée, bref bien mutilé. Pour cet
acte de dévouement et de bravoure, je
cite : " la commune de Montferrier,
reconnaissante, octroya une pension à
Philippe Rouzaud, 49 ans, paysan des
fermes d' amont de Montferrier (
Fremis), père des sept enfants, mutilé,
victime de son dévouement à la cause
publique." Philippe
Rouzaud que son exploit à rendu célèbre,
fit ensuite un voyage à Paris, où il fut
présenté à la convention nationale le 7
floréal de l'an XI; on lui accorda une
prime de 1500 livres et une pension de
300 livres. Par décret, la convention
National octroya par la suite à Philippe
Rouzaud une gratification e 300 livres,
laquelle fut convertie en rente viagère
dont il jouira pendant sa vie, qui
courra à compter à compter du 1er
janvier 1791. ( Bulletin de la
convention Nationale, séance du sixième
jour de la décade du huitième mois de
l'an second de la République une et
indivisible ). Lorsque
j'étais gamin, j'écoutais à la veillée,
enthousiaste et frissonnant d'émotion,
ce récit conté par mon oncle qui fut une
grande mémoire du coin, Alban Icre du
col del Four. L'histoire
se transmet de génération en génération.
Nous n'avons plus de veillées pour
bavarder et écouter les anciens. La télé
a tué ces coutumes. Les faits
historiques de ce genre se perdent dans
la nuit des temps. C'est pour cette
raison que j'ai offert
d'écrire ce qui est encore vivant
dans ma mémoire. L'exploit
de Philippe avait été commenté par
Adelin Moulis de Fougax. Le rapport
présenté à la convention Nationale,
ainsi que les décrets ont été retrouvés
par un ami Philippe Fouet de Lavelanet;
ils sont visibles sur le site Internet
d' Yves Krétly. Je
propose à la municipalité de Montfereir
d'apposer une plaque du souvenir en
hommage à notre héros Philippe Rouzaud,
sur le mur de la maison où il vécut, à
Frémis, mon hameau natal. * Marteillat : marteau en patois. ROGER CHAUBET |