Au pays de Papy sauvage
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L'ours et le MARTEILLAT
Par Roger CHAUBET de Montferrier
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Texte intégral.

  

Depuis bien des années, l'ours des Pyrénées fait couler beaucoup d'encre; les projets de réintroduction des ursidés dans nos montagnes suscitent inquiétudes et réactions parmi les populations qui y vivent et y travaillent, surtout chez les éleveurs.

Les adeptes de sa réintroduction, sans aucun doute, nostalgiques de l'émission " bonne nuit les petits",  rêvent de rencontrer sur les sentiers de randonnée, de gentilles bêtes douces et câlines. Ont-ils un instant inventorié tous les aléas que peut occasionner la présence de de l'ours dans les secteurs d'élevage ?

Ont-ils imaginés les inquiétudes, les craintes, les frayeurs, réservées aux amoureux de la montagne qui s'aventurent actuellement partout en toute quiétude ?

Cannelle, la dernière femelle de race pyrénéenne fut abattue, par un chasseur en légitime défense.

Voilà brièvement dépeint l'état d'esprit, l'ambiance que nous constatons parmi nos contemporains.

Quel contraste avec l'histoire que je viens vous conter : aventure vécue par nos aïeux.

En octobre 1788, un chasseur nommé Philippe ROUZAUD, dit " Marteillat "; habitant de Frémis, commune de Montferrier, se porta volontaire pour éliminer un gros ours, très vorace qui décimait les troupeaux de moutons sur le massif du Tabe. Notre courageux montagnard, partit donc de très bonne heure, armé d'un fusil à pierre, un seul coup, très long à recharger et d'un coutelas à utiliser dans les situations critiques.

Arrivé à l'orée du bois, au lever du jour, non loin du pic Saint Barthélémy, aux dernières sources de Pibert, il déjeuna. Quand il fut restauré, il entreprit l'approche par une gorge étroite, couloir entre deux rochers. Soudain le chien qui habituellement marchait devant, vint se réfugier contre les jambes de Philippe, terrorisé.  L'heure décisive de l'affrontement avait sonné, Philippe épaula, tira, blessant à l'épaule la bête furieuse, se dressa sur ces pattes arrières, prête à bondir. Notre brave voulut se saisir de son couteau avec lequel il avait l'habitude de de finir les animaux en les piquant droit au cœur. Hélas, comble de malheur, il avait oublié son poignard à la source où il avait déjeuné.

S'engagea alors un combat à l'issue incertaine. L'ours s'avança, menaçant, la gueule ouverte. L'homme saisit un linge qui avait contenu son déjeuné et en enveloppa sa main pour la protéger.

Ce fut un sanglant et périlleux corps à corps jusqu'à ce que le vaillant chasseur enfonça sa main dans la gueule du monstre, saisit sa langue au fond de la gorge, tira si fort que l'animal succomba étouffé.

Épuisé, mais la vie sauve, le vainqueur s'en tira avec de nombreuses blessures, des fractures au bras et à la jambe, une main broyée, bref bien mutilé.

Pour cet acte de dévouement et de bravoure, je cite : " la commune de Montferrier, reconnaissante, octroya une pension à Philippe Rouzaud, 49 ans, paysan des fermes d' amont de Montferrier ( Fremis), père des sept enfants, mutilé, victime de son dévouement à la cause publique."

Philippe Rouzaud que son exploit à rendu célèbre, fit ensuite un voyage à Paris, où il fut présenté à la convention nationale le 7 floréal de l'an XI; on lui accorda une prime de 1500 livres et une pension de 300 livres. Par décret, la convention National octroya par la suite à Philippe Rouzaud une gratification e 300 livres, laquelle fut convertie en rente viagère dont il jouira pendant sa vie, qui courra à compter à compter du 1er janvier 1791. ( Bulletin de la convention Nationale, séance du sixième jour de la décade du huitième mois de l'an second de la République une et indivisible ).

 

Lorsque j'étais gamin, j'écoutais à la veillée, enthousiaste et frissonnant d'émotion, ce récit conté par mon oncle qui fut une grande mémoire du coin, Alban Icre du col del Four.

L'histoire se transmet de génération en génération. Nous n'avons plus de veillées pour bavarder et écouter les anciens. La télé a tué ces coutumes. Les faits historiques de ce genre se perdent dans la nuit des temps. C'est pour cette raison que j'ai offert  d'écrire ce qui est encore vivant dans ma mémoire.

L'exploit de Philippe avait été commenté par Adelin Moulis de Fougax. Le rapport présenté à la convention Nationale, ainsi que les décrets ont été retrouvés par un ami Philippe Fouet de Lavelanet; ils sont visibles sur le site Internet d' Yves Krétly.

Je propose à la municipalité de Montfereir d'apposer une plaque du souvenir en hommage à notre héros Philippe Rouzaud, sur le mur de la maison où il vécut, à Frémis, mon hameau natal.

* Marteillat : marteau en patois.

ROGER CHAUBET